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LE BLÉ SAUVAGE DES PREMIERS AGRICULTEURS

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Le blé sauvagedes premiers agriculteurs


archéologie - par George Willcox dans mensuel n°406 daté mars 2007 à la page 58 (2048 mots)
À quelle date certains de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs sont-ils devenus agriculteurs ? Les archéologues associent cultures expérimentales et analyses microscopiques pour reconstituer un processus qui a duré au moins mille ans.

L'adoption de l'agriculture par des villageois du Proche-Orient et sa généralisation sont à l'origine d'une transformation socioculturelle fondamentale dans notre histoire. Elles ont entraîné le développement de civilisations de plus en plus complexes, dont nous sommes les héritiers [1] .

Les raisons pour lesquelles des groupes humains vivant de chasse et de cueillette depuis des dizaines de milliers d'années ont commencé à pratiquer une économie de production font encore aujourd'hui l'objet de débats passionnés. Les hypothèses avancées sont très diverses : révolution symbolique, modifications climatiques, pression démographique...

Mais avant d'espérer déterminer la part de chacune de ces causes il importe de reconstituer les faits avec le plus d'exactitude possible. En particulier, on ne savait pas précisément quand les hommes ont commencé à cultiver les céréales sauvages dans cette région du monde.

Jusqu'à ces dernières années, les archéobotanistes recherchaient sur les plantes les traces de modifications morphologiques sous-tendues par des mutations génétiques témoignant de leur domestication. Le premier changement caractéristique de la domestication des céréales au Proche-Orient s'est produit il y a 10 500 ans * , et concerne l'engrain et l'amidonnier, deux formes de blé. Ces plantes ont perdu la capacité des formes sauvages à disperser leurs grains sur le sol : comme les grains de blé actuels, ils restaient plus fermement attachés aux épis. Or, les plantes porteuses de cette mutation ne pouvaient pas survivre dans la nature sans l'intervention de l'homme.

Domestication rapide
Selon la plupart des spécialistes, cette domestication avait suivi de peu le début de l'agriculture.

De si peu que les techniques de datation archéologiques ne permettaient pas de distinguer ces deux événements. Ils se fondaient généralement sur la supposition que, dans un régime agricole, la pression sélective en faveur de traits domestiques est forte.

Ils faisaient aussi appel à des modèles empruntés à la génétique des populations [2] . Ainsi, d'après Gordon Hillman, de l'université de Londres, lorsque l'homme a commencé à cultiver, la perte de ce mécanisme de dispersion propre aux plantes sauvages a été rapide : il a proposé une fourchette de dix à deux cents ans. Daniel Zohary, de l'université de Jérusalem, a, lui, parlé de seulement quelques générations [3] .

Nous avons entrepris, depuis vingt ans, de tester ces modèles en cultivant de l'engrain sur des parcelles qui entourent notre laboratoire, au pied des Cévennes. Nous nous sommes procuré des semences sauvages au Proche-Orient. Après plusieurs années, notre conclusion est sans appel : l'hypothèse d'une domestication rapide, devenue un consensus, a été bâtie à partir de suppositions hasardeuses concernant les techniques agricoles utilisées par les premiers paysans.

Premièrement, pour que les caractères domestiques s'établissent, l'agriculture aurait dû exercer une pression sélective forte en faveur des plantes qui ne se dispersent pas. Or, nous avons démontré que si la récolte est effectuée juste avant la maturité, donc avant que les grains ne commencent à se détacher, les mutants domestiques dont les grains ne se détachent pas de l'épi ne possèdent pas d'avantage par rapport aux plantes de morphologie sauvage. Dans ces conditions, la sélection d'un mutant rare est peu probable. Cette méthode de récolte précoce, la plus raisonnable lorsque l'on cultive des céréales de morphologie sauvage, n'a d'influence ni sur le rendement ni sur la qualité germinative des grains utilisés en semence l'année suivante.

Deuxièmement, pour que la pression de sélection soit forte en faveur des formes domestiques, il aurait fallu que les plantes cultivées soient isolées par rapport aux populations qui poussaient dans leurs habitats sauvages. Cette condition est difficile à obtenir, du fait que les paysans de l'époque avaient sûrement besoin de se réapprovisionner régulièrement en semences dans la nature. En particulier, ils affrontaient probablement de nombreuses années maigres, causées par des sécheresses ou par des pathologies végétales, à l'issue desquelles tout le grain récolté était consommé. Par ailleurs les céréales sauvages colonisent les champs cultivés comme le font les adventices * , ce qui rend l'isolement encore plus difficile. L'engrain sauvage reste d'ailleurs une adventice aujourd'hui au Proche-Orient.

Vestiges carbonisés
Nos expériences ne constituaient toutefois pas une preuve historique. Nous avons donc, parallèlement, étudié la domestication des céréales à partir des vestiges carbonisés préservés dans les sédiments archéologiques. Avec Kenichi Tanno, aujourd'hui au Research Institute for Humanity and Nature de Kyoto, nous avons rassemblé et examiné des milliers de fragments d'épis provenant de plusieurs sites datés de 12 000 à 8 500 ans [4] .

Ces fragments d'épis sont des unités de dispersion, nommés épillets, qui se détachent avec le grain à maturité chez les plantes sauvages, mais qui restent attachés chez les plantes domestiques. On peut, en principe, distinguer entre les deux formes par l'observation au microscope de la surface de séparation entre les épillets, qu'on appelle la couche d'abscission ci-contre. Des bases d'épillets venant de plantes de morphologie domestique datées d'environ 10 500 ans avaient été signalées par plusieurs archéologues sur plusieurs sites du Proche-Orient, mais il restait à en approfondir l'analyse.

Décorticage au mortier
Notre étude a confirmé que les formes domestiques n'apparaissent pas avant 10 500 ans. Nous n'avons toutefois pu identifier avec certitude comme domestiques ou sauvages qu'environ 10 % des épillets de blé examinés. Beaucoup de spécimens avaient perdu leur couche d'abscission, ce qui empêchait leur classification.

Pourquoi une si grande quantité d'épillets étaient-ils endommagés ? Nous en avons compris la raison en examinant les bases d'épillets modernes qui avaient subi un traitement de décorticage, destiné à libérer les grains. L'engrain n'est en effet pas comestible si l'enveloppe qui entoure le grain n'est pas détachée. Il est probable que les hommes du Néolithique utilisaient la technique connue dans les pays non industrialisés, où le mortier et le pilon servent, par percussion, à décortiquer les blés vêtus * , endommageant ainsi la surface de rupture. En revanche les épillets d'orge que nous avons examinés sont souvent intacts, probablement parce qu'ils n'étaient pas décortiqués. Cette différence de traitement correspond sans doute à un usage différent de celui de blé.

Nous avons été surpris, en outre, par le fait que les formes sauvages persistaient, dans des proportions non négligeables, pendant au moins un millénaire après l'apparition des premiers types domestiques. Selon les modèles établis de la domestication, ces derniers auraient dû rapidement devenir les seuls cultivés. Cette persistance confirmait que le processus avait donc été bien plus lent qu'on ne le croyait.

Nous avons aussi examiné une autre caractéristique des céréales retrouvées sur les sites archéologiques qui pourrait a priori témoigner de la domestication : la taille des grains. Les archéologues font classiquement l'hypothèse que l'agriculture aurait entraîné une sélection en faveur des plantes possédant des grains de plus en plus gros. Nous avons donc mesuré la taille de milliers de grains de céréales carbonisés. Les résultats montrent effectivement une légère augmentation de taille pour l'orge et l'engrain [5] . Cette augmentation ne conduit toutefois pas à des grains plus gros que les plus gros des céréales sauvages actuelles. Cela pourrait donc simplement signifier que le changement soit lié à une amélioration des conditions du milieu.

En définitive, nos observations confirmaient qu'il n'y avait pas le moindre indice de domestication dans les sites de plus de 10 500 ans. Mais, plus important, elles montraient, pour la première fois, que les formes domestiques ne s'imposent que graduellement. Cela renforçait notre hypothèse, fondée sur les cultures expérimentales d'engrain, d'une faible pression sélective en faveur de formes domestiques. En conséquence une longue période d'agriculture avant la domestication devenait plausible.

Organisation villageoise

Forts de ces arguments, nous avons réexaminé la possibilité d'une pratique de l'agriculture sur les sites n'ayant livré que des céréales de morphologie sauvage, particulièrement dans le nord de la Syrie, à Jerf el Ahmar, Dja'de et Mureybet. D'une part, l'architecture de ces sites suggère une organisation sociale complexe, qui pourrait découler de l'adoption de l'agriculture. En particulier, on y trouve de grands bâtiments circulaires semi-enterrés, destinés sans doute à un usage collectif. Ces bâtiments sont surplombés par des constructions domestiques posées autour d'eux. D'autre part, ces villages, situés le long de l'Euphrate, sont loin de la région où se trouvent les habitats naturels de l'engrain et du seigle. Ce problème d'accessibilité aurait été une bonne raison de commencer à cultiver afin de sécuriser une subsistance quotidienne, au lieu de parcourir des distances importantes.

Les études botaniques menées dans ces sites ont permis de mettre en lumière plusieurs arguments qui suggèrent fortement que l'agriculture y était installée il y a 11 300 ans et, peut-être, il y a 12 000 ans. D'abord, nous avons constaté que, dans cette région, c'est d'abord le seigle qui a été utilisé. L'orge, l'engrain et l'amidonnier ont été progressivement introduits ensuite. Dans le même temps, la part des plantes sauvages autres que les ancêtres des plantes domestiques, et provenant de la cueillette, a diminué.

Nous avons aussi constaté une augmentation de la taille des grains tous de morphologie sauvage au cours du temps. Celle-ci est peut-être une conséquence du choix par les agriculteurs de planter leurs champs dans des terres plus riches que les habitats sauvages des céréales. Enfin, les adventices, qui se multiplient avec le travail de la terre tel que le labour, sont très fréquemment associées avec les céréales trouvées dans ces sites.

Plus au sud, en Israël, Ehud Weiss et Mordechai Kislev, de l'université Bar-Ilan, sont arrivés aux mêmes conclusions : l'agriculture y aurait été bien plus précoce que les premières traces de la domestication des céréales [6] . À Gilgal, site de la vallée du Jourdain daté d'entre 11 400 et 11 200 ans, ils ont trouvé des figues carbonisées dont ils pensent qu'elles ont été cultivées, et peut-être même domestiquées. Sur le même site, de grandes quantités d'avoine et d'orge sauvage ont été découvertes, qui seraient, pour ces archéologues, le produit d'une culture.

Ils citent également le cas des légumineuses, en particulier les lentilles, qui sont omniprésentes sur les sites du Proche-Orient. On trouve de plus en plus souvent ces légumineuses à partir d'il y a 12 000 ans. Dès 11 000 ans, on en trouve même des quantités importantes, alors que leurs habitats naturels se réduisent à des petites surfaces très dispersées de quelques mètres carrés. Le manque de disponibilité dans la nature d'une ressource attrayante comme les lentilles serait une bonne raison de la cultiver afin de produire un stock suffisant, au lieu de parcourir la steppe pour en récolter quelques poignées.

Réchauffement climatique
Alors, quand exactement les hommes sont-ils réellement devenus agriculteurs dans cette région du monde ? Il n'y a pas de doute que les céréales sauvages ont été cultivées pendant au moins un millier d'années avant leur domestication, entre 11 500 et 10 500 avant le présent. L'agriculture s'est donc installée vers la fin de la détérioration climatique que l'on nomme le Dryas récent * ce qui correspond à un refroidissement en Europe occidentale, alors que le climat commençait à s'améliorer.

Avant cela, il y a environ 14 500 ans, des villages sédentaires appartenant à la culture natoufienne, s'étaient installés dans le sud du Levant. Pour cette période nous n'avons pas de trace d'agriculture, mais les restes carbonisés sont rares. Les habitants de ces villages connaissaient le pouvoir germinatif des graines, qu'ils avaient observé dans la nature [7] . Il n'est pas exclu qu'ils aient parfois cultivé, à petite échelle, sans que cela ait laissé de trace.

Lorsque les conditions climatiques sont devenues stables et favorables, les sites comme Jerf el Ahmar et Tell 'Abr montrent des signes d'une complexité culturelle jamais vue auparavant. Pour nous, il s'agit de la manifestation d'une transformation sociale et culturelle, alimentée par une économie de production fondée sur la culture des céréales sauvages.

Pour certains confrères, que l'on peut qualifier de « déterministes », c'est l'amélioration et la stabilisation des conditions climatiques qui, augmentant la fiabilité des récoltes, sont à l'origine de cette transformation. Pour d'autres, c'est la transformation socioculturelle qui se trouve à l'origine de l'établissement d'une économie agricole durable. Ils suivent en cela l'hypothèse énoncée par Jacques Cauvin, du CNRS, dans les années 1990. Selon lui les données archéologiques montraient une révolution mentale et une « révolution des symboles », dont l'agriculture serait une conséquence [8] . Il me semble quant à moi plus prudent de considérer que les développements de l'économie agricole sont liés à la fois à des conditions environnementales et socioculturelles indissociables et combinées.

Par George Willcox

 

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